Réponse des oiseaux marins aux changements environnementaux : adaptations et limites physiologiques
A l’échelle de la Terre, l’environnement change à un rythme sans précédent. Le changement climatique, la fragmentation des habitats, les interactions entre l’homme et la nature, l’émergence de nouvelles maladies ; tous ces facteurs exercent une pression intense sur des écosystèmes autrefois préservés. Les effets des changements environnementaux sont exacerbés dans les écosystèmes longtemps restés vierges de l’empreinte humaine tels que les milieux polaires des hautes latitudes où le forçage climatique, l’écotourisme et les zones de reproduction limitées accentuent le stress auquel sont soumis les populations animales, en particulier les oiseaux marins. Comprendre dans quelle mesure les populations d’oiseaux marins sont résilientes face aux changements actuels nécessite une approche double. D’une part, le suivi démographique des colonies d’oiseaux marins permet d’acquérir des connaissances essentielles sur les mécanismes affectant la performance de la colonie, depuis les changements des processus océanographiques jusqu’à la disponibilité et la viabilité des ressources marines dont les oiseaux marins dépendent pour survivre. D’autre part, les connaissances sur les adaptations physiologiques individuelles des oiseaux marins et leurs limites sont nécessaires pour comprendre et prédire si les individus et les populations sont capables ou non de faire face aux changements environnementaux. En effet, le cycle de vie des oiseaux marins doit se comprendre à travers la dualité que représentent les périodes en mer et les périodes à terre, notamment pour se reproduire, où les contraintes écologiques sont très différentes. Historiquement, le projet polaire ECONERGY s’intéresse aux adaptations physiologiques (ainsi que leurs limites) des oiseaux marins à leur environnement (https://ipev119.wixsite.com/econergie119). Il s’est principalement focalisé sur le manchot royal (Aptenodytes patagonicus) comme modèle d’étude, et d’année en année, a permis d’acquérir des connaissances essentielles sur les adaptations comportementales et physiologiques permettant aux oiseaux marins de faire face aux nombreuses pressions environnementales auxquelles ils sont sujets, telles que : (i) le jeûne prolongé, (ii) l’alternance entre une inactivité physique à terre et une intense activité physique en mer ; (iii) l’exposition dans leurs colonies de reproduction aux parasites, aux conflits entre congénères, et à la pression de prédation. Il a par ailleurs permis (iv) d’identifier certains marqueurs physiologiques de la qualité individuelle sur laquelle est basée le choix du partenaire, et (v) de mieux comprendre le rôle des mécanismes physiologiques impliqués dans les compromis évolutifs entre survie et reproduction. Par une approche pluridisciplinaire, ce projet se concentre principalement sur les aspects physiologiques, énergétiques, comportementaux et évolutifs de la reproduction chez les adultes ainsi que sur la période de croissance extraordinairement longue des poussins et leur nourrissage irrégulier durant l’hiver. Grâce à l’enthousiasme de nouveaux membres, ce projet de renouvellement du projet marque un tournant avec les saisons précédentes tout en s’appuyant sur les données et les connaissances fondamentales acquises depuis le début du projet ECONERGY. Fort de notre expertise sur l’écophysiologie du manchot royal, il a pour ambition de débuter un observatoire à long terme des réponses physiologiques des manchots royaux aux changements de leurs environnements. Pour ce, le projet sera construit sur les données collectées dans le cadre de plusieurs expériences mises en œuvre depuis 2011. Ces données seront complétées par le suivi annuel d’un échantillon représentatif de manchots se reproduisant dans différentes conditions coloniales et saisonnières. Ce suivi permettra d’étudier la variabilités inter- et intra-annuelle des réponses physiologiques (en termes d’énergie et de stress) mises en œuvre par les oiseaux face aux changements à terre de leur microhabitat, des conditions de vie en colonie, du parasitisme et de la prédation – sur une période d’au moins 14 ans (2011-2025). Par ailleurs, ce projet se propose d’utiliser les méthodes les moins invasives possibles pour approfondir la compréhension des réponses énergétiques et liées au stress chez ces oiseaux marins – et la plasticité de telles réponses – aux changements rapides de l’environnement. En particulier, à travers une combinaison de techniques expérimentales, de modélisations, et d’approches mitochondriales et protéomiques, nous étudierons comment les oiseaux font faces à des vagues de chaleur récurrentes à terre, comment ils s’accommodent de la pression de prédation toute l’année, de quelle façon ils sont impactés par le dérangement lié à l’homme, et comment la qualité individuelle et la performance des oiseaux à terre peut conditionner leur performance en mer. En combinant des protocoles d’échantillonnage standardisés sur le long-terme à des outils d’analyse statistiques avancées, nous établirons la contribution respective des différents sources exogènes de pressions environnementales (prédation, climat, parasitisme, dérangement lié à l’homme) au phénotype du stress chez les manchots royaux à différents stades du cycle de reproduction à terre, afin de comprendre à quels facteurs et à quelles périodes ces animaux sont le plus vulnérables au stress environnemental. Enfin, en collaboration avec les projets polaires 131, 394, 1151, ainsi que nos collaborateurs étrangers et des instituts de recherche (UK, Finlande), nous construirons une base de données à long-terme bénéficiant d’une expertise croisée et qui permettra une quantification approfondie et plus précise des menaces qui pèsent sur le manchot royal dans un futur proche. Les données collectées serviront notamment dans un cadre de partage open access, notamment au travers de collaborations avec des membres de la Zone Atelier Antarctique et Terres Australes avec lesquels nous souhaitons établir un réseau de stations météorologiques interconnectées à des serveurs IPEV par système LoRa (ZATA project WiSeNet 1258), le long de la côte de l’Ile de la Possession.